L’être humain n’est pas un solitaire ; il vit en compagnie de ses semblables. Il a besoin d’eux, comme ils ont besoin de lui. Cette entraide est nécessaire pour apprendre et réfléchir, pour agir et réagir, pour survivre et s’épanouir.

Le bébé oserait-il faire ses premiers pas sans l’exemple des adultes, mais surtout sans le regard attirant et les bras accueillants qui l’invitent à l’effort et à l’audace ? Ces gestes le rassurent car il sait qu’un être aimant préviendra le risque de chute. Il est “confiant” ; autrement dit, il peut “se fier” à ce guide protecteur.

Rien de sérieux et solide ne se construit sans la confiance. Il faut avoir foi dans un projet mûri, en des moyens expérimentés mais encore en l’engagement et la compétence des collaborateurs.

Avec le respect qui la précède, la confiance est donc indispensable à la vie en société et, plus précisément, à toute relation humaine authentique, à l’amitié et à l’amour dont elle est la marque probante.

Lorsqu’elle est unanime, la confiance autorise quelques présomptions proches de la certitude. Tel est le cas du dévouement des parents à leurs enfants ou encore de la fidélité entre amis ou amoureux. Quand règne la bonne entente, voilà qui ne se discute pas, qui va de soi et implique autant de postulats fondamentaux ; l’être aimé est cru sur parole en toutes circonstances.

Quand le doute s’installe

Par contre, quand la foi en l’autre s’effrite, quand le doute s’installe, c’est la crise qui annonce souvent le drame. Plus rien n’est alors acquis d’avance. Tout est discutable et doit être prouvé mais la charge de la preuve est inversée. Puisque la bonne foi n’est plus de règle, c’est la suspicion qui remplace la présomption de confiance.

Notre société souffre d’un déficit de confiance. Ainsi, nombre de plaignants honnêtes sont d’emblée soupçonnés de déclaration mensongère ; en l’absence de tout indice de fraude, il leur est demandé de garantir la véracité des faits dont ils sont victimes. De même, l’authenticité des certificats est souvent contestée, au point qu’ils n’affirment plus rien de “certain”… Si la multiplication des plaintes mensongères et des attestations de complaisance peut expliquer une telle méfiance, elle ne saurait toutefois la justifier. La prudence ne peut aboutir au procès d’intention !

La suspicion entraîne parfois des conséquences moins perceptibles mais tout aussi nocives. Ainsi, par exemple, trop d’examinateurs cherchent à vérifier ce que l’étudiant ignore de la matière enseignée, alors qu’il convient prioritairement de contrôler ce qu’il sait et a compris ! Il est bien vrai que les deux démarches se complètent, mais leur approche est différente, l’une étant bienveillante et l’autre non.

Quand les temps sont difficiles, la prudence est de rigueur. Malheureusement elle peut conduire à la peur, laquelle est toujours mauvaise conseillère. En effet, beaucoup choisissent alors de ne plus faire confiance à personne. Comment respecteraient-ils les soucis, les projets, les espérances ou les jugements d’autrui ?

Cette défiance s’observe de nos jours à tous niveaux. Au prétexte de dysfonctionnements occasionnels, la police et la justice, par exemple, sont contestées de manière systématique. Avant la clôture de toute enquête, la vox populi accuse de riposte disproportionnée le malheureux policier qui accomplit son devoir. De même, manifestants et émeutiers tentent de contrarier l’action du ministère public, voire remettent en question la chose jugée par les tribunaux, en se livrant à des intimidations indignes d’un État de droit. Mentionnons encore la perplexité que suscitent les politiques : notre démocratie doute de ceux qu’elle a élus et finit par les renier.

Cultes et méfiance

Des réflexions du même ordre s’imposent concernant les religions. Comme leur nom l’indique, elles “relient” l’être humain à une divinité ; elles expriment “la foi” en celle-ci (autrement dit la confiance éprouvée en ce qu’elle est et invite à vivre). La conviction intime des coreligionnaires se manifeste dans un culte dont la liberté est constitutionnellement consacrée. Or, considérées autrefois comme une garantie de bonne conduite et de grandeur d’âme, les religions inspirent aujourd’hui la plus grande méfiance. Les croyances sont-elles fondées, les idéaux sont-ils sincères, les actes sont-ils désintéressés, l’enseignement est-il respectueux de nos libertés, les ministres du culte ne seraient-ils pas des gourous, des imposteurs, voire des pervers ? Il est attendu des représentants des cultes qu’ils fassent constamment preuve de leur probité, de leur intégrité, ou encore de l’absence de prosélytisme. Ils doivent montrer patte blanche ; ils ne suscitent plus d’instinct ni respect ni, à plus forte raison, confiance. Comment nos contemporains peuvent-ils renoncer indirectement de la sorte aux valeurs sacrées qu’incarnent ces prêtres, religieux et laïcs engagés ? Pourquoi les hommes “de peu de foi” en viennent-ils à douter à ce point de celle des autres ?

En ces temps de pandémie, nos gouvernants persistent à juger la célébration des cultes moins “essentielle” que le sport, les soins de beauté ou les réunions amicales aux terrasses. Jusqu’ici, les restrictions sanitaires ne se relâchent en la matière que timidement et parfois de façon illusoire. Un tel excès de prudence traduirait-il le scepticisme des politiques face à la sincérité de conviction et au besoin de spiritualité des croyants ? Chercherait-on à anesthésier la pratique religieuse, dans l’espoir qu’elle ne sorte jamais d’une léthargie forcée ? Ainsi, la défiance des uns mène à la méfiance des autres.

Suspicion généralisée

En résumé, pas plus que tout un chacun, la société ne peut vivre sans confiance. Quand celle-ci vient à manquer, la suspicion s’installe, le “chacun pour soi” domine, l’individualisme devient liberticide.

Certes, toute confiance se mérite et peut rarement se présumer totalement. La restaurer est l’affaire de tous.