Peut-on encore mourir pour des idées ?
Publié
le
28 décembre 2022
dans
Démocratie & Citoyenneté
,
Vivre ensemble
par
Frédéric
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Et de fait, kamikazes et martyrs ne donnent pas leur vie pour rien. Ils entendent faire triompher une cause qu’ils croient juste, affirmer des convictions fortes, crier au monde la vérité ou du moins ce qu’ils en ressentent, bref laisser retentir leur idéal. C’est qu’en effet, rien ne vaut la vie, sinon ce qui est la vraie raison d’être ! Il faut que l’existence elle-même soit menacée d’un mal grave et imminent pour que, dans un état proche de la légitime défense, le geste suicidaire ou l’acceptation du risque mortel soit moralement justifié. C’est à ce prix seulement que le sacrifice trouve son sens profond, confine à l’héroïsme et peut devenir un exemple à suivre.
Deux questions indissociables viennent ainsi à l’esprit. Qu’est-ce qu’une conviction ? Quelles sont les causes qui, selon les circonstances, appellent un combat ou une résistance proportionnés ?
La conviction se définit généralement comme l’adhésion confiante à une idée ; elle est à ce point ferme qu’elle équivaut à une certitude presque absolue. Elle fonde l’action et en justifie le caractère sérieux ; elle tend aussi à se diffuser, non par orgueil ou prosélytisme, mais en quelque sorte par contagion.
Autrement dit, celui qui se sent convaincu s’efforce naturellement, non pas d’imposer ses vues, mais bien de convaincre. Il ne s’agit pas de séduire de manière superficielle ; il convient, au contraire, de solliciter l’intelligence d’autrui par des arguments fiables et percutants qui, si possible, aillent droit au cœur. Car “convaincre” signifie étymologiquement “vaincre avec”, “gagner ensemble”. Pour ce faire, le dialogue est de rigueur, puisque c’est le débat (informel ou non) qui permet aux interlocuteurs d’affronter des points de vue dont jaillira peut-être un accord. Le but n’est pas de dominer le contradicteur et de le soumettre ; il est de joindre les efforts de tous pour approcher au mieux la vérité. Voilà qui nécessite du savoir, de l’expérience, de la logique et, si possible, le talent de les exprimer. Voici surtout qui, pour l’emporter, suppose la modestie du sage ou du savant, laquelle consiste à toujours laisser une place au doute, mais surtout à écouter la partie adverse.
Récemment encore, les femmes et les hommes soucieux de la vie publique se regroupaient au nom d’une idéologie ou d’une doctrine ; c’était l’époque, par exemple, du socialisme, du communisme ou du libéralisme, comme ce l’est encore aujourd’hui de l’écologie. Le qualificatif qui en découlait ne signifiait évidemment pas que les associés ou partisans étaient systématiquement et exclusivement guidés par l’objectif invoqué, mais celui-ci annonçait la tendance générale (on pouvait dire la “couleur”). Aujourd’hui, toutefois, que ce soit en politique, dans l’enseignement, ou encore au cœur même des centres hospitaliers et de bienfaisance, beaucoup rechignent à manifester leurs opinions. Il est à craindre que ce soit parce qu’ils en sont tristement dépourvus ou, du moins, parce qu’ils n’ont pas le courage de s’engager réellement pour elles. Alors, il est commode de choisir des appellations vagues et des slogans convenus ; le but final n’est pas autrement indiqué. Plutôt que de donner ouvertement un sens à la réflexion ou à l’action, on privilégie l’entre-deux et la tiédeur. Ce flou stratégique donne l’apparence d’un esprit conciliant, alors que la sincérité et la clarté seraient plus méritoires…
Vient à présent la seconde interrogation. Armé d’une conviction profonde, faut-il toujours – et dans quelle mesure ? – la proclamer, prévenir les dangers qui la menacent et, au besoin, résister à ceux qui la pourfendent ?
Cruciales ou non, les divergences d’opinions ne manquent pas. Le droit à la différence (quelle qu’elle soit), l’égalité juridique entre les citoyens, les libertés individuelles et leurs implications concrètes, autant d’exemples significatifs au sujet desquels l’Occidental du XXIe siècle a l’illusion d’être parfaitement informé. Il est pourtant la victime des propagandes mensongères des États voyous, des fake news circulant sur les réseaux sociaux, ou même de certaines machinations commerciales ou publicitaires ! Il s’interroge. Où sont réellement la vérité et l’apparence trompeuse ? Quel est le scandale ou le débat dont il convient de se soucier et dans quelle mesure ? Le tri s’impose entre l’acceptable et l’inadmissible, entre le fondamental et l’insignifiant, bref entre ce qui mérite l’affrontement et ce qui ne le vaut pas.
Chacun classe les problèmes en fonction de ses propres critères (qui ne sont pas tous d’égale importance), puis décide en son âme et conscience, c’est-à-dire face à lui-même mais en tenant compte du bien commun. Il s’agit de peser les avantages et inconvénients des solutions entrevues pour mieux mesurer l’opportunité et l’efficacité de chacune. Il n’y a pas de remède miracle ; il n’y a que des tentatives au cas par cas. Seule la règle d’or est immuable : on améliore plus autrui en progressant soi-même qu’en lui faisant la leçon. Le meilleur combat – comme la meilleure défense – ce n’est pas l’attaque ou le jugement, mais l’exemple donné humblement !
Il faut donc croire à ses idées, mais aussi avoir à cœur de les défendre. Si la philosophie et la religion sont distinctes du droit et de la politique, les convictions fondamentales en ces matières sont essentielles à une vision globale de la cité et à l’art de vivre ensemble. Elles constituent nos racines et sont seules à nous donner parfois les ailes qui donnent de la hauteur. Consciemment ou non, elles guident notre pensée et notre action. Alors, pourquoi les taire et redouter leur partage loyal ?
Par contre, tous les concepts et principes ne nécessitent pas une même ardeur au combat ni une égalité de moyens. Le discernement est délicat. Ne rien faire face au danger constitue toujours une erreur, mais une réaction disproportionnée peut l’être davantage…
Source : La Libre