Une résidente de maison de repos témoigne : "Comment trouver encore du sens durant les jours qu’il me reste à vivre ?"
Publié
le
7 octobre 2020
dans
Coronavirus
par
Natacha
Tanghe
Le témoignage d'une résidente de 90 ans, rapporté par Natacha Tanghe, animatrice pastorale de la santé en BW.
Les mesures prises en urgence pour protéger nos aînés suite à la diffusion du virus SRAS-CoV-2 perdurent dans le temps, modifiant profondément leur vie quotidienne et leurs relations.
Mon travail m’amène à rencontrer des personnes qui vivent en maison de repos. Après l’écoute de plusieurs d’entre elles, il m’a paru important de partager ce témoignage, afin de faire entendre cette voix, qui en rejoint d’autres : elle nous interroge sur le sens des conditions de vie appliquées aux aînés pour les protéger, particulièrement quand les jours à vivre diminuent. En les privant de tout contact et de tout ce qui fait encore sens à leurs yeux, est-ce encore leur "vie" qu’on préserve, avec la densité et la richesse que suppose ce mot ? Ou bien ne leur accorde-t-on en vérité qu’un simulacre d’existence ?
Je vous fais part du témoignage d’une résidente de 90 ans.
La souffrance des aînés
Au début du confinement, je ne comprenais pas très bien ce qui nous arrivait : en effet un virus nommé « covid19 » nous condamnait à rester enfermés dans notre chambre. On ne comprenait pas trop, mais on obéissait.
Au fils des jours, on sent la peur s’installer, mais qu’est-ce que ce virus ? Nous ne voyageons pas, nous n’allons pas en boite de nuit, pourquoi nous ? Que se passe-t-il ?
Un virus invisible nous enferme dans ma chambre, comme lorsque j’envoyais ma fille réfléchir après une grosse bêtise ! Qu’est-ce que j’ai fait ?
Le personnel n’arrête pas de se laver les mains, et même de se les désinfecter, et ils n’osent même plus me toucher, mais c’est quoi ce virus ? Est-ce que je l’ai ? La TV et la radio ne parlent que de ça.
Petit à petit, les masques, les gants, les tenues de cosmonautes font leur apparition.
Suis-je contagieuse ? On m’explique qu’il faut rester prudent, et l’absence de visites devient de plus en plus pesante !
Je n’y comprends pas grand-chose, mais je n’ai pas le choix, j’obéis.
Ma famille et mes proches me téléphonent, je les sens angoissés, mais que se passe-t-il dans ce monde !?
Un espoir : le déconfinement annoncé !
Je peux enfin voir ma famille, mais avec masque, désinfectant, distance de sécurité et un plexi devant nous ! Mais bon quel bonheur ! Je vois bien que ma fille est mal à l’aise, je la connais, elle est très inquiète. Mais 20-30 minutes, c’est très court !
Tiens au fait, où est madame X , je ne la voie plus au réfectoire ! À force d’insistance, j’apprends qu’elle n’est plus de ce monde ! Mon Dieu !
Quelques semaines plus tard, la pandémie reprend, on nous re-confine !
Mais quoi ? Combien de temps cela va t-il encore durer ? Je n’ai pas toute la vie devant moi, hein ! Six mois sont passés… J’aimerais tant serrer mes enfants dans les bras, voir mon arrière-petit-fils qui vient de naître, le dorloter… Mais non, interdit, c’est trop dangereux !
Est-ce cela, une vie ?
Sans toutes ces visites, ces relations qui faisaient mon bonheur, comment puis- je encore vivre ? En fait, je n’ai pas le choix, je dois finir mes jours comme ça : seule, sans contact, sans bisou, sans caresse, plus rien ! Boire, manger, dormir… Et attendre que ça passe, est-ce cela, une vie ? Pas pour moi !
Pendant la guerre, j’ai perdu beaucoup : ma maison, mon beau service, mes photos, je croyais vraiment avoir tout perdu… Mais je me suis relevée, avec mon époux, on a reconstruit notre vie ; nous étions ensemble, forts et travailleurs, nous étions soudés, on se prenait dans les bras, on était solidaires.
Je découvre maintenant ce que c’est qu’être dépouillé physiquement, moralement.
Je sais que mes enfants, mes proches, et ce qui me reste d’amis m’aiment, mais ce n’est pas suffisant ! J’ai besoin de les voir, les entendre, les embrasser, rire et chanter – d’ailleurs même ça, on peut plus !
Ce n’est vraiment pas pareil, quel espoir me reste-t –il ? Trois mois ou même six mois dans ces conditions, je l’ai supporté, mais là, c’en est trop, à 90 ans, mes jours sont comptés !
Est-ce que je serai encore là quand ce foutu virus sera parti ? En plus, d’après ce que je comprends, il faudra "vivre avec"… C’est-à-dire dans ces conditions ?
Contrairement à ce que nos politiques croient, ils ne nous préservent pas, ils nous font mourir à petit feu, sans espoir, sans présence physique d’amour !
Je veux mourir vivante
Vous les gens "actifs" beaux et jeunes, vous pensez rarement à la mort et c’est normal ; mais moi, je suis prête, j’ai déjà bien eu le temps de m’y préparer, laissez-moi vivre le peu de temps qui me reste auprès des miens, je veux mourir vivante, pleine de vie, de rire et d’amour !
Si j’avais le choix, je préférerais prendre le risque d’être malade du Covid -au risque, je le sais, d’en mourir ; plutôt que de me voir dépérir seule sans les miens que j’ai tant cajolés et aimés ! Je veux mourir auprès des miens, bien entourée, mais ça on ne me l’autorise pas.
Je sais : je suis lente, vieille, je ne suis plus très agréable à regarder, mais il me semble que je fais encore partie de l’humanité ; j’ai tant donné, je ne suis pas un objet, un pantin ou je ne sais quoi.
Le monde a-t-il tellement évolué ; est-ce cela le monde d’après ?
Je ne comprends plus et, souvent, je me demande : "Qui suis-je encore ? Que me reste-t–il à vivre ? Sans les miens, je n’ai plus rien !"
Voilà le type de témoignages que je reçois au quotidien et qui me poussent à les partager. Le vécu des personnes âgées dans les maisons de repos mérite qu’on se pose les bonnes questions. Une vie humaine peut-elle se limiter à sa dimension biologique ou exige-t-elle qu’on prenne en compte sa dimension relationnelle ? Qu’est-ce qu’une "vie" ?
Source : La Libre