Sommes-nous vraiment démocrates ?
Publié
le
25 avril 2023
dans
Démocratie & Citoyenneté
par
Simon-Pierre
de Montpellier
Dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, pandémies, guerres, crise énergétique, crises de l’accueil, pauvreté, inégalités… Les défis de notre humanité sont tellement immenses qu’ils peuvent nous sembler insurmontables. Les grandes transformations que nous connaissons depuis quelques décennies (la mondialisation et la financiarisation, la marchandisation et la privatisation, la numérisation et l’accélération) n’ont fait qu’accroître notre sentiment d’impuissance politique.
Dans ce contexte, de plus en plus d’individus sont tentés par l’autoritarisme, le repli identitaire, les populismes, l’abstentionnisme ou le vote de contestation, comme le montrent notamment, en Belgique, les résultats récents de l’enquête Noir Jaune Blues (5 ans après) ou du sondage Le Choix des Belges. Ce n’est pourtant que par la démocratie que nous pourrons affronter les enjeux de notre temps. C’est d’abord une conviction : le bien commun est à rechercher ensemble, il n’est bien que s’il est commun. C’est aussi une nécessité : plus une question est complexe, plus elle requiert une intelligence collective.
Ainsi, le principal remède à la crise de la démocratie n’est pas d’espérer le dirigeant parfait, ni de se passer de représentants… mais de la cultiver et de l’approfondir. Comment ?
Montesquieu, philosophe des Lumières, disait : “l’amour de la démocratie est celui de l’égalité”. Pourtant, les inégalités sont criantes. Rien qu’en Belgique, près de 20 % de la population (30 % à Bruxelles) connaissent ou sont menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale. Ces conditions de vie empêchent souvent de s’engager dans la cité, d’exercer sa citoyenneté, d’être écouté et représenté. Si nous voulons effectivement être démocrates, il est donc urgent et indispensable de réellement considérer et inclure les personnes en situation de pauvreté, de précarité et de vulnérabilité au cœur de nos processus démocratiques, selon le principe d’égalité.
Dans L’Idéologie et l’utopie, le philosophe Paul Ricœur définit la société démocratique comme celle qui mène un travail d’expression, d’analyse et de délibération, le plus profondément possible, pour arbitrer les contradictions qui la traversent. Partout, tout le temps, dans nos familles, à l’école, au travail, dans les entreprises, les administrations, les syndicats, les associations, les organisations, les mouvements, les partis politiques, dans de nombreux domaines, cette exigence démocratique est nécessaire, bien qu’elle ait à prendre des modalités propres selon les diverses situations. Pour pratiquer la démocratie, l’éducation permanente (c’est-à-dire une éducation citoyenne des adultes dans une démarche d’émancipation collective, grâce au partage des expériences et des savoirs) offre des méthodes et des outils particulièrement intéressants, qui mériteraient d’être davantage connus, approfondis et déployés dans toutes les organisations et fonctions collectives.
Cultiver la démocratie demande aussi de démultiplier les lieux (réels, et non seulement virtuels) pour la vivre. Tout d’abord, face à la numérisation à marche forcée et à l’encontre du critère managérial de l’efficacité, il est indispensable de permettre l’accès, en particulier des personnes précarisées, à des guichets physiques, dans les institutions, les administrations, les banques, les syndicats, les mutuelles, les grandes associations… Ensuite, contre la privatisation des espaces publics, il est nécessaire de (re) créer du commun : des lieux de rencontre, de discussion, de partage, d’analyse, de délibération, de fraternité/sororité, où chacune et chacun a sa place ; autant de lieux d’expérimentation de la démocratie.
Être démocrate, cela demande donc de l’espace… et du temps. Du temps pour s’instruire, réfléchir, tisser des liens, s’exprimer, analyser, délibérer… et s’engager. D’autant plus pour affronter les longs défis, en particulier écologiques, de notre temps. Pourtant, le temps vient (lui aussi) à manquer. Pour libérer du temps, une première chose serait sans doute de pouvoir ralentir… Mais c’est loin d’être simple, quand on se sent prisonnier d’un système économique et financier qui nous oblige à courir toujours plus vite, jusqu’à l’épuisement. Alors, comment concrètement libérer ce temps qui nous manque tant ? Une piste intelligente nous vient du philosophe Luc Carton qui plaide pour l’institution d’un congé de citoyenneté universel, qui offrirait la “possibilité, reconnue financièrement et dotée de droits, de s’adonner à la conduite en commun […] de fonctions collectives” au service de la société.
Source : La Libre