Rendre le monde fraternel : comment tenir la main de la personne vulnérable en temps de confinement ?
Publié
le
15 mai 2020
dans
Coronavirus
par
Marie
Lhoest
"On mesure le développement d’une société à sa capacité à s’occuper des plus faibles et des plus fragiles", rappelait récemment dans une interview la ministre de la Santé de la Région Wallonne, Christie Morreale (PS). Une vérité que nous oublions trop souvent, et qui se rappelle à nous en cette période de pandémie.
Tous les soirs, nous rendons hommage aux soignants et à tous ceux qui sont "en première ligne" dans l’accompagnement des malades et des personnes impactées par la pandémie. Je souhaiterais pour ma part rendre un hommage appuyé à tous les membres des équipes d’aumônerie en hôpitaux et en maisons de repos, à tous ceux que l’on appelle "les aumôniers" et "les visiteurs" qui sont présents, parfois très discrètement mais aussi très activement, au service des personnes âgées, en situation de handicap et/ou malades, et sont des témoins de la tendresse de Dieu pour chacun. Ils sont eux aussi "au front" dans leurs accompagnements.
Repenser la présence à l’autre
La période est particulière. Comment, lorsqu’on se donne pour mission d’aller à la rencontre de l’autre, “se rendre présent” pour la personne qui souffre alors même que les règles du confinement empêchent tout contact de proximité ? Comment tenir la main de la personne vulnérable en temps de confinement ?
La crise actuelle nous a amené à repenser la présence à l’autre. Empêchés de se rendre dans les maisons de repos ou au domicile des personnes âgées, souvent seules et éloignées de leurs propres familles, les aumôniers et "visiteurs" ont été invités par les circonstances à redoubler de créativité et à inventer mille et un moyens de conserver le lien.
Il est impossible de mentionner toutes les initiatives qu’il m’a été donné de voir, mais je dois bien avouer avoir été la première émerveillée face à ces "nouvelles manières de faire Église" dont parle le jésuite François Euvé, rédacteur en chef de la revue Études, dans un billet publié sur les réseaux sociaux.
Il y a d’abord eu la réalisation d’une première carte postale avec de magnifiques fleurs de pruniers, imprimée en 2500 exemplaires avec un petit mot d’encouragement et de soutien. Il y a eu aussi les innombrables petits courriers personnalisés, dont cette personne de mon village qui a écrit un message personnel à chacune des 90 personnes d’une maison de repos. Combien d’heures passées à écrire, et quel réconfort pour chacun des destinataires !
Il y a eu ces enfants d’écoles primaire et de la catéchèse, que nous avons encouragés à envoyer des dessins, et ceux du secondaire, invités par leurs professeurs à envoyer des courriers aux personnes isolées dont nous avions remis, avec leur accord, les noms et adresses. Quelle joie d’apprendre, par après, que dans certaines maisons de repos les lieux rayonnaient d’une seconde vie, tapissés de ces cartes, dessins d’enfants, et courriers envoyés.
Je ne peux pas ne pas parler de ces petits concerts de musique devant les maisons de repos avec un, deux ou plusieurs jeunes qui avaient préparé des chants d’époque pour toucher le cœur des résidents confinés.
Des gestes qui font grandir les liens intergénérationnels
Ce sont ces gestes qui contribuent à faire grandir les liens intergénérationnels, trop peu nourris voire négligés jusqu’alors, tandis que nous étions pris, trop pris, par nos vies à cent à l’heure. Des papys, des mamys ont enfin de nouveau des contacts avec leurs petits-enfants ou arrières petits-enfants grâce aux tablettes mises tout récemment à disposition dans les maisons de repos.
À l’occasion de Pâques, une carte postale imprimée en 4000 exemplaires fut portée à destination de tous les résidents d’une cinquantaine de maisons de repos en Brabant Wallon, de malades en hôpitaux et de personnes en situation de handicap en institutions avec ce message universel : "Restons unis dans le réconfort fraternel. Laissons-nous envelopper par l’Amour qui vient à notre rencontre au milieu de nos difficultés. Il nous conduit vers la Lumière et l’espérance". À Braine L’Alleud, ce ne sont pas moins de 32 kg d’œufs, répartis en 250 petits sachets, qu’ont récoltés paroissiens et "visiteurs", à destination de trois maisons de repos. Mesure-t-on la joie des résidents (et des soignants !) engendrée par ces gestes de partage et ces petits œufs en chocolat ?
Et depuis peu, pour répondre à la demande d’un infirmer soucieux du “soin spirituel”, nous tentons de mettre en œuvre des conversations par Skype entre les résidents et des accompagnateurs spirituels, dont des prêtres, car plusieurs manifestaient le besoin de pouvoir prier avec quelqu’un, d’un temps de partage, de recevoir une bénédiction, …
Une grande chaîne d'amour
Il y aurait encore beaucoup d’autres initiatives à mettre à l’honneur, des élans de générosité, des gâteaux et des desserts préparés avec le cœur, des revues récoltées pour distraire les résidents, du muguet cueilli et offert pour le 1er mai, des appels via WhatsApp avec la famille proche, ... et mille et un de ces petits gestes qui “contribuent à bâtir le monde”, pour reprendre les mots de Saint-Exupéry.
Pour laisser se déployer toute cette créativité, il nous a fallu resserrer les liens entre nous, personnes engagées dans la pastorale de la santé, responsables des équipes locales. Prendre le temps de s’écouter, s’encourager, rester proches les uns des autres, partager les joies et les peines, ne laisser personne sans contact, sans signe de présence aimante et fraternelle.
Et ensuite, veiller à ce que ces liens se renforcent localement au sein même des équipes et enfin des membres des équipes vis-à-vis des personnes qui leur sont confiées. Nous allions contribuer ainsi à ce qu’une grande chaîne d’amour nous enveloppe tous y compris ceux qui nous sont confiés.
Puisse, comme nous le disait à Pâques, notre pape François, une autre contagion, la contagion de l’Espérance, continuer à se transmettre de cœur à cœur !
Source : La Libre