Qui va payer la facture de la crise sanitaire?

Publié le 30 avril 2021
dans Économie
par Étienne de Callataÿ

Qui va payer la facture de la crise sanitaire?

Un article de Christine Scharff.

Qu’il fallait sortir l’artillerie lourde pour endiguer la crise du coronavirus et amortir ce choc économique sans égal depuis la Seconde Guerre mondiale, pas grand monde ne le conteste. Mais si la crise du coronavirus a conduit la Commission européenne à mettre en suspens ses exigences en matière de rigueur budgétaire, il y aura, à un moment donné, un retour à la réalité.

Au coût des mesures de soutien s’ajoutent le ralentissement de l’économie et le reflux des recettes fiscales. En 2020, le déficit budgétaire de la Belgique, toutes entités confondues, atteignait 9,4% du PIB, soit un trou de 42 milliards. La situation ne devrait être que légèrement meilleure en 2021, avec un déficit de 7,5% du PIB, soit un trou de 36 milliards. Le Conseil supérieur des finances recommande d’entamer les efforts budgétaires structurels dès 2022, avec éventuellement en parallèle des mesures de soutien temporaires et ciblées, pour ne pas tuer la reprise dans l’œuf.

Moins de dépenses et plus d’impôts

Etienne de Callataÿ, chef économiste d’Orcadia Asset Management, estime que la réponse viendra d’un mix de dépenses moindres et d’augmentation de la fiscalité. "Il n’y pas de solution miracle. Nous sommes moins riches qu’avant la crise, et on pourra se permettre moins."

Quand on lui demande s’il reste vraiment une marge de manœuvre du côté des recettes, vu la pression fiscale déjà fort élevée en Belgique, les exemples fusent. "Prenez l’exemple emblématique des voitures de société, dont l’impact se chiffre en milliards. Ou les soutiens fiscaux à la recherche, dont l’impact n’a pas encore été prouvé. Ou encore les dispositions fiscales qui favorisent les personnes qui travaillent en société, la non-taxation des plus-values ou le fait que l’immobilier, hors droits d’enregistrement, est moins taxé en Belgique qu’à l’étranger."

 

L’économiste ne manque pas non plus de pistes pour réduire les dépenses. "Il faut regarder l’efficacité de l’appareil de l’État. Il faut scruter les dépenses de la Sécurité sociale, au premier rang desquelles les pensions, en faisant en sorte que les gens travaillent plus longtemps et que le taux d’emploi soit plus élevé. Prenez l'enseignement, aussi: la Belgique a un mauvais enseignement, et ce n’est pas faute d’argent. Ou la justice, qui fonctionne mal - et je ne suis pas sûr que ce soit une question de moyens."

 

Des efforts dès aujourd’hui

Et pour Etienne de Callataÿ, inutile d’attendre 2022 pour commencer les efforts. "Il faudrait d’ores et déjà arrêter le gaspillage des mesures mal ciblées, comme la baisse de la TVA dans l’horeca, qui bénéfice davantage à ceux dont le chiffre d’affaires est plus élevé. Regardez aussi le droit passerelle: Philippe Defeyt a montré qu’il permettait à nombre d’indépendants de gagner nettement plus que ce qu’ils déclaraient par le passé. Ce n’est pas normal. Il faut un soutien très large à l’économie, mais avec des garde-fous. L’austérité doit commencer dès aujourd’hui."

Roland Gillet, professeur d'économie financière à la Sorbonne, à Paris, et à l’ULB (Solvay), souligne lui qu'une part significative de la population supporte déjà en partie la facture de ces aides massives. "Il n’y a jamais de repas gratuit. Quand les États se financent à des taux historiquement bas, voire négatifs, les gens paient indirectement via les obligations d’État ou les obligations d’entreprise qu’ils détiennent, et qui ne sont pas rémunérées suffisamment, voire leur coûtent de l'argent."

Roland Gillet donne également la priorité à ce qui va se passer dans les tout prochains mois. "La question actuelle est de savoir comment enclencher vraiment la relance. Alors que les États-Unis mènent une politique très agressive, nous en sommes encore à déterminer ce qui va figurer dans nos plans de relance, avec des États qui tentent parfois de faire passer des dépenses de consommation, ou des dépenses sociétales, pour des dépenses d’investissement. Mais il faut être sélectif, et se concentrer sur les véritables dépenses d’investissement, qui offriront un retour à une croissance suffisante pour pourvoir un jour espérer s'extraire sans trop de dommages de la perfusion de la Banque centrale européenne. J’entends trop souvent qu’on peut y aller franchement, parce que le coût de l’endettement est proche de zéro. Penser qu’on ne doit pas rationaliser au maximum la gestion des finances publiques serait une grave erreur, et rendrait plus difficile encore la gestion d’une série de problèmes structurels auquel on va devoir s’attaquer, comme les pensions."

Des réformes structurelles qui font aussi partie des priorités de Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque nationale de Belgique, qui ajoute au défi des pensions deux autres priorités: la trop faible participation au marché de l’emploi et la crise climatique.

Pour le reste, le gouverneur de la Banque nationale estime qu’il faut faire une distinction entre la dette que la Belgique avait constituée avant la crise et celle qui a été contractée pendant la crise du coronavirus. Etienne de Callataÿ va plus loin encore, et prévoit qu’in fine, cette dette liée au coronavirus pourrait être annulée. "Parler d’annulation de la dette aujourd’hui est contreproductif, parce que cela risque de susciter la peur des marchés. Mais en 2037 ou en 2042, il y a de bonnes chances qu’on se dise: le Covid représente 15% de la dette publique de la Belgique et 23% de celle de l’Italie, et on annule cela», avance l’économiste.

Source : L'Echo