Les libertés de religion et de conviction sont en péril
Publié
le
14 mars 2021
dans
Vivre ensemble
par
Béatrice
de Liedekerke
,
Guillaume
Dos Santos
,
Renier
Nijskens
Réagissant à une pétition de 48 membres du Parlement européen, la Commission européenne vient de décider de désigner un Envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion ou de conviction à l’extérieur de l’UE.
Ce poste créé en mai 2016 et occupé par le Slovaque Jan Figel, était vacant depuis 2019. Mais au vu des menaces croissantes à travers le monde en matière de liberté de religion et de conviction, la Présidente Ursula von der Leyen a voulu endosser un engagement fort de l’UE pour promouvoir à travers le monde, le respect de toutes les religions et convictions.
Le mandat de cet Envoyé spécial prévoit explicitement que la liberté de pensée, de conscience et de religion est un droit humain fondamental et il inclut donc également la liberté de ne pas croire, ainsi que celle de quitter une religion.
Dès lors, si une conviction veut se partager et aspirer à l'unanimité, elle ne peut y parvenir que dans l'absolu respect de la liberté d'autrui. Dans les faits, cette démarche tolérante est rendue plus facile pour la chrétienté en Europe où elle ne constitue pas une menace au pluralisme.
Faut-il répéter que les libertés de religion et de conviction sont en péril dans de trop nombreuses parties du globe ? Ces libertés ne font pas bon ménage avec les régimes autoritaires, de tous bords, comme il en est fait état en Corée du Nord, en Syrie, ou encore à l'encontre des Yézidis, et des chrétiens d'Orient en général. La montée de Daech au Nigeria (Boko Haram) et au Sahel y a importé des situations dramatiques là où régnait traditionnellement la tolérance et la convivialité interreligieuse. Même dans une démocratie bien établie comme l'Inde, les chrétiens font l'objet de multiples discriminations.
D'autres situations tout aussi injustes et inadmissibles sont le sort des musulmans Rohingyas au Myanmar, des Ouïghours en Chine, des minorités non musulmanes au Pakistan ou encore d'apostats ayant décidé de quitter l'islam et de laïcs athées exerçant leur droit d'expression, comme l'enseignant Samuel Paty qui l’a payé de sa vie dans des circonstances abominables, et ce au cœur même de l’Europe.
Selon un rapport commissionné en 2019 par le Foreign Office britannique, la persécution de chrétiens atteint même parfois des niveaux de génocide tandis que l’antisémitisme accuse également une tendance à la hausse. Il en va de même pour l’islamophobie.
L'organisation 'Open Doors' estime que plus de 340 millions de chrétiens subissent une forme de persécution et de discrimination du fait de leur conviction, soit une personne sur six en Afrique, deux sur cinq en Asie et un sur douze en Amérique Latine. En voyant les efforts énormes et dramatiques déployés par des régimes si divers dans des contextes sociétaux si différents pour contrer les minorités chrétiennes, la question mérite d’être posée : « Qu’y a-t-il de tellement puissant dans la religion chrétienne qu’on veuille la faire taire ou même la faire disparaître alors qu’elle est toute douceur ? D’où lui vient cette force que même la puissance de la mort ne l’emporte pas sur elle ? » Le christianisme, qui exige d’aimer même ses ennemis et de prendre la défense des faibles et des opprimés face au pouvoir en place, s’annonce à son origine comme une subversion des logiques de pouvoir.
En Belgique, pays de tolérance et d'inclusivité, le Parlement fédéral a adopté en juillet 2020, à la quasi-unanimité, une résolution demandant au gouvernement de mettre fin aux campagnes ciblées de persécution et de violence contre les communautés chrétiennes et toutes les minorités religieuses et idéologiques d'Afrique du Nord, du Proche et du Moyen Orient. Il condamne aussi sans réserve et avec la plus grande vigueur toutes les formes de discrimination et d'intolérance fondées sur la religion et les convictions, maintenant et à l'avenir, où qu'elles se produisent dans le monde. Étonnant donc de relever qu’aucun euro-parlementaire belge n’a cosigné la pétition de ses 48 collègues pour restaurer la fonction d’Envoyé Spécial…
Les mesures liées au combat contre la pandémie du Covid-19 sont très mal ressenties par les croyants de toutes les religions qui se vivent en communauté. La limitation à 15 personnes dans les lieux de culte, même là où de grands espaces permettent une distanciation prudente, empêchent les croyants de vivre leur foi normalement dans une période où ils en auraient particulièrement besoin. N’assiste-t-on pas, dans le cadre de ces mesures gouvernementales anti-Covid à un constat d’oubli du fait religieux ? L’indifférence se retrouve aussi dans les médias qui relaient très peu les faits gravissimes de persécution religieuse dans le monde.
Les notions de tolérance et de fraternité entre croyants de toutes religions et non-croyants se retrouvent dans le message chrétien, en particulier dans la récente encyclique du pape François : 'Fratelli Tutti'.
"Nous, chrétiens, nous demandons la liberté dans les pays où nous sommes minoritaires, comme nous la favorisons pour ceux qui ne sont pas chrétiens là où ils sont en minorité. ... Cette liberté affirme que nous pouvons « trouver un bon accord entre cultures et religions différentes ; elle témoigne que les choses que nous avons en commun sont si nombreuses et si importantes qu’il est possible de trouver une voie de cohabitation sereine, ordonnée et pacifique, dans l’accueil des différences ..." (Fratelli Tutti, §279.)
Le dernier voyage papal en Irak lui a fourni l'occasion de réitérer ce message de fraternité universelle.
Ce puissant message de liberté, de tolérance et de fraternité a été lancé lors de la rencontre de 2019 entre le Pape François et le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb, figure spirituelle du monde musulman. Dans leur déclaration commune sur la Fraternité Humaine, ils affirment que les religions n’incitent pas à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes. « [… nous déclarons] adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère ».
Le fanatisme, ainsi que le rappelle le frère dominicain Adrien Candiard dans son dernier ouvrage Du fanatisme (éditions du Cerf), n’est jamais un « trop plein de foi », mais bien un manque de foi; une idolâtrie du dogme religieux plus qu’un amour de Dieu.
Nous ne pouvons que souhaiter plein succès à ce nouvel Envoyé spécial qui portera haut à travers le monde, une des valeurs historiques et humaines les plus profondes caractérisant la vocation de l'UE, celle d’une liberté permettant l’épanouissement humain et spirituel de chacun dans le respect mutuel.
Source : La Libre