«Déboulonnons les racismes»

Publié le 14 juillet 2020
dans Vivre ensemble
par Collectif de signataires préoccupés par le Vivre Ensemble , Renier Nijskens , Josepha Guma

«Déboulonnons les racismes»

Le meurtre de George Floyd aux USA semble avoir ravivé ou à tout le moins révélé le problème du racisme imprégnant nos sociétés occidentales. Chez nous, c’est toute la question coloniale qui refait surface, le poids d’un passé parfois difficile à assumer, et toute la complexité des relations en dents de scie entre la Belgique et le Congo, alors même que l’on fête, hasard du calendrier, les 60 ans de l‘indépendance de ce dernier. Patrice Lumumba, et Léopold II : deux noms viennent cristalliser les tensions au sein d’un débat public qui n’en finit plus de se polariser, partant de convictions pré-établies, voire subjectives ou dénuées de fondements factuels mais relevant de sensibilités identitaires, limitant l’expression de toute position un tant soit peu nuancée et épuisant les chances d’un dialogue rendant possible le pardon quant au passé et l’espoir d’un vivre ensemble quant à l’avenir. La logique de clan vient ainsi remplacer le souci de la vérité et de toute la vérité, comme l’a si justement exprimé l’écrivain et journaliste américain Rod Dreher dans un article traduit dans le Le Figaro; la fidélité à son clan l’emportant toujours sur la raison en hypothéquant toute chance de faire société.

 

Reconnaître l’autre au-delà de ses différences

Or une société digne de ce nom commence par la reconnaissance réciproque de ses membres. Reconnaître l’autre, c’est le reconnaître dans ses différences, dans son identité particulière comme dans ce que nous partageons lui et moi, mais c’est aussi le reconnaître comme interlocuteur légitime avec qui je peux cheminer vers la vérité dans une démarche de dialogue. Vivre ensemble implique donc cette capacité de se mettre à la place de l’autre pour chercher à le comprendre dans son altérité et dans son unicité. Ne nous empressons pas trop vite de cantonner l’autre dans une identité, une ethnie ou une étiquette. Dans les Identités meurtrières, Amin Maalouf affirme : C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. C’est ce regard “libérateur” qu’il nous faut rechercher.

 

Si le débat portant sur les statues semble a priori  importé des Etats-Unis,- puisque pour la communauté afro-américaine, les souffrances d’aujourd’hui  remontent directement à leur période d’esclavage aux Etats-Unis mêmes-, il n’en demeure pas moins qu’il doit nous interpeller sur les injustices bien présentes au sein de notre société. Pourtant idéalisé, le vivre-ensemble que nous désirons tous au-delà de nos sensibilités ne peut être atteint que si nous nous penchons réellement sur les causes. On sait par exemple qu’au sein de la première génération de personnes dites “afrodescendantes”, pourtant plus diplômées que la moyenne nationale, le taux de chômage est pourtant jusqu’à quatre fois plus élevé que dans le reste de la population. C’est à ce type d’élément tangible qu’on doit s’attacher lorsqu’on parle de racisme. “Les hommes naissent libres et égaux en droit”, proclame la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Il faut s’attacher à comprendre pourquoi cette égalité de droits n’existe pas dans les faits, et comment agir pour la rendre effective avant de pouvoir clamer que “chaque vie compte”.

 

« Nous ne pouvons pas tolérer ou fermer les yeux sur le racisme et l’exclusion sous quelque forme que ce soit et pourtant prétendre défendre le caractère sacré de chaque vie humaine » - Pape François

Car si chaque vie humaine revêt un caractère sacré, alors il nous faut voir en chaque personne de ce monde un frère ou une soeur en humanité. C’est cette fraternité, cette acceptation tacite que malgré la pluralité de nos identités et de nos vécus nous sommes unis dans notre humanité, qui doit nous amener à changer notre regard sur l’Autre. Cet Autre que je peux craindre secrètement pour ses différences est en réalité mon frère ou ma soeur, et cela implique une reconnaissance et une assistance mutuelles. “La rencontre de l’Autre m’engage”, nous dit Levinas. 

C’est parce que chacun est unique et que nous différons les uns des autres que nous nous complétons. "Les différences ne sont pas censées séparer, aliéner, disait Desmond Tutu. Nous sommes justement différents afin de comprendre que nous avons besoin les uns des autres."

Oser et trouver le dialogue

Le débat “pour ou contre” les statues n’est bien souvent qu’un “cache-sexe” qui dissimule bien d’autres enjeux. Il est facile de renverser un buste le temps d’une nuit, mais le nécessaire travail de vérité et de réconciliation autour de l’époque coloniale est une tout autre affaire. “Toute recherche d’unité entre les hommes, affirmait le frère Roger de Taizé, implique que l’on fasse d’abord l’unité en soi-même”. Nous ne pourrons unir les hommes qu’en se réconciliant d’abord chacun avec son histoire et son vécu.

Avant de penser à déboulonner les traces d’un passé dont nous n’avons pas exploré toute la complexité, déboulonnons plutôt les racismes, les injustices et les divisions qui gangrènent notre société, et bâtissons sur de meilleures bases notre commun avenir. Alors nous pourrons regarder fièrement et sans ciller le buste de Léopold II.

 

Refaire ensemble communauté
Tout l’enjeu revient à reconnaître chacun et chacune dans sa différence, tout en permettant de bâtir un socle commun à tous. 

Refaire ensemble communauté implique cette reconnaissance mutuelle, mais pas seulement. Cette démarche doit avant tout se fonder sur la vérité à l’égard du passé. Saluons à cet égard l’attitude constructive du Roi Philippe dans sa lettre adressée au président Tshisekedi, qui enclenche un processus de réconciliation entre pairs pour les actes passés et veut marquer chez nous le point de départ d’une communauté de destin pour le futur. 

Le racisme présent encore aujourd’hui chez nous alimente, dans un cercle vicieux, les communautarismes de tous genres. Aucun progrès ni aucune prospérité ne peut naître des sentiments de rancoeur ou des situations de rivalités entre communautés. “Cette ancienne loi d'oeil pour oeil laisse tout le monde aveugle”, disait Martin Luther King. Ce cercle vicieux de la loi du talion, on ne peut le briser que par un dialogue entre pairs permettant de faire jour à la vérité de notre passé commun -et là réside la condition de tout pardon éventuel.

La vérité à l’égard du passé, les pardons et la promesse d’un avenir commun : voilà ce qui doit nous animer aujourd’hui. Nous n’avons plus le choix.

 

 “La seule alternative à la coexistence, c’est la co-destruction” - Gandhi

 

Source : Le Soir