Pour quoi travaillons-nous ?

Publié le 20 juin 2022
dans Économie , Société
par Simon-Pierre de Montpellier

Pour quoi travaillons-nous ?

Le 30 avril 2022, dans un discours qui a fait le tour des réseaux sociaux, de jeunes diplômés d’AgroParisTech ont lancé un appel à "bifurquer" professionnellement, à "déserter" les "jobs destructeurs", pour s’engager dans des projets compatibles avec la lutte contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. De plus en plus, des jeunes - mais pas uniquement - (re)mettent ainsi en cause les métiers et les entreprises qui dégradent le vivant. Leurs choix et leurs discours nous bousculent. Ils nous invitent à nous poser, individuellement et collectivement, cette question existentielle : "Pour quoi travaillons-nous ?"

1. Pour (sur)vivre

Dans notre société, travailler permet avant tout de générer des revenus pour subvenir à ses besoins fondamentaux (et parfois à ceux de sa famille ou d’autres proches) comme se loger et se nourrir, et éventuellement s’assurer une sécurité et un confort supplémentaires, jouir de loisirs, etc. Cependant, de trop nombreuses personnes connaissent le chômage. D’autres ne reçoivent pas un salaire suffisant pour couvrir leurs besoins, rembourser leurs dettes, etc. Leurs métiers ne leur permettent pas de vivre dignement. Ce sont pourtant souvent les mêmes qui travaillent dans des conditions indécentes, sont exploitées, abusées. Elles survivent (ou plutôt sous-vivent), jusqu’à parfois en mourir.

2. Pour participer et s’épanouir

Travailler, c’est aussi contribuer à la société et s’épanouir personnellement. En travaillant, nous créons, nous mettons nos compétences au service d’autrui, nous participons à la vie commune. D’où l’importance de savourer l’œuvre et les fruits de son travail, et d’être reconnu pour cela. Attention, toutefois, à ne pas se laisser dépasser par son travail et à sombrer dans l’épuisement professionnel (burn-out). Comme le dit l’adage, "il faut travailler pour vivre, et non vivre pour travailler". Tout engagement qui se veut sain doit être équilibré. À cet égard, la question du temps de travail est importante, mais nécessite d’être concertée (par exemple entre patrons et syndicats, en équipe, ou encore en famille) pour demeurer collective. Enfin, pour trouver sa voie, il faut souvent emprunter différents sentiers ; c’est pourquoi il importe de favoriser les transitions durant la vie professionnelle.

3. Pour tisser des liens

L’humain est un être relationnel. En travaillant, il crée et approfondit des liens avec ses collègues, ses clients, ses patients, ses partenaires, etc. La dimension sociale est donc essentielle à prendre en compte au travail et dans les entreprises. Or, depuis plusieurs dizaines d’années, on observe une tendance à l’individualisation de l’organisation du travail et de la gestion des salariés, avec des horaires de plus en plus variables (qui peuvent favoriser l’isolement et le "chacun pour soi"), des salaires et des primes individualisés (dont le risque est d’augmenter la concurrence entre travailleurs et travailleuses et d’exercer une pression accrue sur l’individu au travail). De plus, si le télétravail a pu sauver un bon nombre d’entreprises et d’organisations durant la pandémie de Covid, il constitue désormais, pour beaucoup, un frein à la sociabilisation et à la convivialité. Ces différents enjeux relationnels rappellent l’importance de la concertation sociale, d’une meilleure prise en compte des sciences humaines et sociales dans la formation des élites entrepreneuriales et managériales, et de la démocratisation des entreprises.

4. Pour transformer le monde

Le travail, c’est plus qu’un emploi, c’est une œuvre. Travailler, ce n’est pas que gagner de l’argent, c’est aussi et surtout apporter sa pierre à l’édifice du monde, co-construire la société de demain. Penser le travail plus largement et en profondeur nous amène alors à mener une réflexion éthique sur les conséquences de nos actes sur la nature, la société, les autres et… nous-mêmes (notre santé, notre bonheur, etc.). Soudainement, nous prenons conscience du poids de notre action et de notre présence sur Terre. Nous prenons conscience de la puissance de nos choix (et de la violence de ne pas avoir le choix). Si cela peut nous faire peur, cela doit surtout nous faire espérer, car nous avons une trace à laisser…

 

Une carte blanche de Simon-Pierre de Montpellier, Rédacteur en chef de la revue En Question, éditée par le Centre Avec. Dernier numéro (n° 141 - été 2022) : "Pour quoi travaillons-nous ?" 

Infos : www.centreavec.be - info@centreavec.be

Source : La Libre