Lettre ouverte concernant l'introduction du terme "Laïcité" dans la Constitution
Publié
le
23 avril 2019
dans
Laïcité
par
Collectif
de signataires
Ce mardi 23 avril, la Commission du Sénat pour les affaires institutionnelles votera quant à la révision éventuelle d'un certain nombre d'articles de la Constitution.
Nous souhaitons faire part de nos réflexions concernant le débat autour du projet d’inscrire la laïcité dans notre Constitution, qui touche à l’équilibre entre État et religions.
En ce qui concerne l’exercice des cultes reconnus dans notre pays, l’État belge fait preuve d’une juste neutralité. L'État reconnaît certains cultes et organisations non confessionnelles. Cette reconnaissance va de pair avec le financement des rémunérations des ministres du culte et la garantie du droit à l'éducation religieuse ou morale dans les écoles. L'éducation peut ainsi être organisée librement.
L’attitude bienveillante de l’État belge permet l’exercice réel de notre droit fondamental à la liberté de religion. Mais apparemment, cela ne convient plus aux yeux de certains et nous pensons qu’il y a là un danger contre lequel nous souhaitons mettre en garde.
Différents groupes d’influence se sont fixé pour objectif d'inclure le terme "laïcité" dans notre Constitution. Depuis 2000, diverses propositions législatives ont été soumises pour réviser la Constitution en ce sens. D'autres propositions législatives visaient à supprimer le financement des cultes et à bannir l'éducation religieuse des heures de classe. Des propositions législatives en ce sens ont de nouveau été avancées ces derniers mois. Les propositions en question visent à ancrer la laïcité de l'État belge dans la Constitution et à renforcer la primauté du droit positif sur toute conviction religieuse ou philosophique.
Nous sommes préoccupés par les conséquences de l'introduction du terme "laïcité" dans la Constitution belge pour deux raisons : nous jugeons que c'est à la fois inutile et dangereux.
Inutile car la Constitution belge dans sa version actuelle offre des garanties suffisantes pour l’exercice de nos libertés fondamentales, notamment la liberté de religion. Le système qui existe actuellement est celui d’une neutralité coopérative, qui respecte la stricte séparation de la religion et de l'État mais soutient en même temps l'exercice du culte dans la société, ce qui permet de ne pas reléguer le religieux dans l’étroitesse de la sphère privée.
Dangereux ensuite, parce que l’inscription du terme laïcité dans la Constitution représente un changement par rapport à la neutralité de l’État belge à l’égard des cultes et met en péril le fragile équilibre entre religions et État, ainsi que celui de l’éducation religieuse dans le Pacte Scolaire.
Il nous semble évident que le concept importé de laïcité à la française, spécifiquement lié au contexte constitutionnel chez nos voisins - où sa signification est différente - ne peut pas être transposé tel quel dans la Constitution belge. Dans notre pays, la laïcité ou la libre pensée (vrijzinnigheid), sont les noms d'une conception philosophique reconnue par l’État. Si cette notion est incluse dans la Constitution en tant que fondement des libertés constitutionnelles, une conception philosophique particulière aura la même appellation que le principe constitutionnel lui-même ! Il y aurait donc une libre pensée reconnue comme conception philosophique et une autre libre pensée érigée en principe constitutionnel fondamental. Cela nous semble problématique.
Certains voudraient également que l’introduction du terme laïcité dans la Constitution serve de base à des lois distinctes. Ils pensent à "lier le financement des services de culte à l'évolution sociale", et proposent jusqu’à interdire tout symbole religieux dans tous les lieux "où l'Etat exerce une fonction". Ils sont également demandeurs d’une révision du financement de l'éducation religieuse… voire de la fin des cours de religion dans les écoles officielles.
L’introduction de ce terme laïcité, tel que perçu chez nous, impliquerait que le religieux ou le philosophique soit banni de la sphère publique, de la Res Publica. Cela met la démocratie elle-même en danger. Dans une démocratie, le gouvernement ne favorise pas une religion ou une conviction philosophique particulière, mais au contraire garantit la pluralité d’opinions en permettant à chacun de s’exprimer dans le débat public. Si besoin, l’État dispose même de moyens spécifiques pour pénaliser ceux qui ne peuvent s’accommoder de ce principe de pluralisme.
En Europe et dans les autres pays occidentaux, des équilibres se sont lentement construits entre les religions et l’État, résultat d’un processus millénaire de tensions et de compromis. De cette recherche séculaire d’équilibre, ont émergé dans nos sociétés les libertés fondamentales, l’ordre social et l’État de droit. C'est le cœur du projet occidental. La constitution de cet équilibre et ses modalités diffèrent selon le pays. Tout comme diffèrent, dans chaque pays d’Europe, les systèmes juridiques et les compromis politiques en place. Cela est sain.
Il n’est nullement besoin de bouleverser la neutralité de l’État belge à l’égard des différentes religions et convictions philosophiques reconnues et les équilibres qui en résultent. Nous vivons dans un pays démocratique et tolérant, régi par des principes constitutionnels et des lois garantissant l'ordre, la loi et la non-discrimination. Au nom de quoi pourrait-on vouloir mettre cela en péril ?
Source : La Libre