Le bien commun est-il une utopie ?

Publié le 1er mars 2023
dans Société , Vivre ensemble
par Patrick Debucquois

Le bien commun est-il une utopie ?

Au point culminant du libéralisme sauvage, ou primitif, dont les dérèglements allaient successivement contribuer à l’horreur des deux guerres mondiales qu’a connues notre humanité, un pape, Léon XIII, signait une encyclique, Rerum Novarum, que l’on considère habituellement comme un nouveau départ de l’enseignement social de l’Église.

Il y développe notamment la thèse, aujourd’hui largement acceptée, selon laquelle tant le libéralisme que le communisme constituaient deux systèmes intolérables en raison de leurs excès.

Quelques années plus tard, Emmanuel Mounier, Jacques et Raïssa Maritain allaient découvrir qu’au-delà d’un discours “centriste”, du genre “ni gauche, ni droite”, l’Église pouvait fonder son enseignement social sur une vision plus profonde : celle de la personne, qui n’est pas réductible à l’individu, et de la communauté, qui n’est pas réductible à la collectivité.

 

Cette idée, que l’on aurait pu considérer comme une élucubration d’intellectuels ou de doux rêveurs, allait se révéler tellement puissante qu’elle allait inspirer pratiquement tous les pères fondateurs de l’actuelle Union européenne, qui n’a pas été qualifiée par hasard, à l’époque, de “Communauté”.

Dans cette pensée, l’une des intuitions centrales est celle du bien commun, à savoir “le plus grand bien du plus grand nombre”. Celle-ci, à la différence de la vision utilitariste triomphante, ne se réduit pas à la somme des intérêts individuels. Le bien commun est ce qu’une communauté poursuit dans son intérêt et celui de toute l’humanité, actuelle et future.

Aujourd’hui, il est un bien commun dont personne ne peut plus douter, celui de notre environnement naturel, dont on sait à quel point il est menacé. Mais il est d’autres “biens communs”, en particulier la confiance, sans laquelle aucune entreprise humaine ne peut aboutir. Ceci est particulièrement vrai pour la protection et la sécurité sociale, fleurons de notre modèle social. On peut également évoquer, dans cet esprit, les “listes citoyennes” qui peuvent se constituer lors des élections communales.

Curieusement, cette notion centrale qu’est le bien commun tend, aujourd’hui, à tomber dans l’oubli, au point que nombreux sont ceux qui y suspectent une forme déguisée de communisme, voire de communautarisme. C’est peut-être pour cette raison que voient le jour, actuellement, de nombreuses initiatives tendant à la réhabiliter, que ce soit à l’échelle la plus visible, celle d’initiatives locales concrètes telles que les jardins partagés ou les circuits courts, ou dans le monde scientifique, à l’instar du cycle de conférence mené actuellement par l’Université de Namur, voire à l’échelle de l’Union européenne ou des Nations Unies, comme en témoigne le succès incontesté du Groupe d’experts Intercontinental sur l’Évolution du Climat (GIEC).

Alors que se profile à l’horizon l’échéance des élections législatives et européennes, puis locales, de 2024, il est essentiel que, dans les programmes de nos partis politiques, le bien commun soit identifié comme un élément central, qu’il s’agisse de nos Communes, de nos Régions, de notre pays et de l’Union européenne. Un sondage récent a révélé la détresse de nombreuses personnes âgées isolées réduites à l’état d’individus, parce que non reconnues comme personnes. Il révèle, en particulier, le lien étroit existant entre cette situation et les votes pour des partis extrémistes. Réhabiliter le bien commun n’est donc pas un rêve utopique, mais une nécessité urgente pour l’avenir même de nos démocraties, voire sans doute, aussi, de notre humanité.

Source : La Libre