Faut-il inscrire le terme de féminicide dans le Code pénal ?

Publié le 4 novembre 2020
dans Vivre ensemble
par Patrick de le Court

Faut-il inscrire le terme de féminicide dans le Code pénal ?

Il y a quelques jours à peine, à Bruxelles en rue et en plein jour, une femme a été poignardée par un homme qui estimait sans doute avoir sur elle droit de vie et de mort. Ces actes bien trop fréquents suscitent l’indignation légitime de tous et l’expression féminicide fait aujourd’hui florès. La simple réserve, même lexicale, en ce domaine semble presque sacrilège. Et pourtant…

Il ne s’agit pas d’analyser ici le drame humain et le phénomène sociologique inquiétant que représentent ces agressions mortelles dont tant de femmes sont victimes, mais ce que la loi pénale prévoit dans de tels cas. Pour rappel, le mot homicide est un terme général qui vise l’action de tuer un être humain. L’homicide volontaire est qualifié de meurtre. Ou d’assassinat s’il est prémédité. Les peines prévues vont bien sûr croissant, selon qu’il s’agit d’homicide involontaire, de meurtre ou d’assassinat.

L’ajout d’une qualification spécifique de féminicide comblerait-elle une lacune, permettant de mieux endiguer le fléau ?

Remarquons d’emblée que la loi rend déjà punissable en tant qu’infraction propre toute discrimination fondée sur le sexe. Et prévoit en outre un renforcement de peine pour les auteurs de coups et d’homicide, "lorsqu’un des mobiles […] est la haine, le mépris ou l’hostilité à l’égard d’une personne en raison […] de son sexe […]".

Rupture du principe d’égalité

Certes, la loi ne prévoit pas de régime distinct lorsque les victimes sont de sexe féminin. Et il est avéré que les cas de violences et de meurtres commis par des hommes à l’égard de femmes sont bien plus nombreux que l’inverse. Il serait toutefois difficile de considérer l’homicide commis par une femme sur un homme comme un fait moins grave que le contraire. D’estimer en quelque sorte que certaines vies auraient en droit moins de prix que d’autres… En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a d’ailleurs indiqué qu’une telle distinction constituerait une rupture du principe d’égalité, en créant une présomption de féminicide à chaque meurtre de femme.

Problème de la preuve

Car c’est bien dans la notion même de féminicide que réside le problème. Selon Wikipédia, le féminicide est le meurtre d’une ou plusieurs femmes pour la raison qu’elles sont des femmes. Or, comment va-t-on pouvoir démontrer qu’une femme a été tuée parce qu’elle était une femme ? La victime aura le plus souvent perdu la vie à la suite d’un drame passionnel, parce qu’elle était l’épouse, la compagne, "l’ex", mais non parce que l’auteur souhaitait diminuer d’une unité l’ensemble du genre féminin… Les cas de tueurs tels Jack l’éventreur demeurent, grâce à Dieu, assez exceptionnels !

Dans notre Code pénal ?

Le changement n’étant pas une valeur en soi, examinons donc la nécessité ou du moins la plus-value de créer dans notre Code pénal une nouvelle incrimination, celle de féminicide.

Le féminicide, selon la définition donnée plus haut (le meurtre d’une femme pour la raison qu’elle est femme), est déjà sanctionné comme tel par la loi belge. Le meurtre est en effet punissable de la réclusion de 20 à 30 ans et l’assassinat de la réclusion à perpétuité. Et, lorsqu’un des mobiles du crime ou du délit de violence est la haine, le mépris ou l’hostilité à l’égard d’une personne en raison de son sexe, la peine prévue est aggravée. Dans le cas précis du meurtre commis avec un tel mobile, c’est la réclusion à perpétuité, soit la peine maximale que peut prononcer une cour d’assises. Sauf à rétablir la peine de mort pour un féminicide, on ne voit guère l’utilité d’une modification législative à ce sujet.

Une lacune à combler

N’y aurait-il donc aucune lacune à combler dans notre arsenal législatif ? Oui, sans aucun doute, si l’on veut en réalité, sous le mot féminicide, évoquer la tragédie des meurtres commis dans le cadre d’un couple ou de ce qui en fut un.

Il est vrai que notre Code pénal actuel prévoit une aggravation de peines "si le coupable a commis le crime ou le délit envers son époux ou la personne avec laquelle il cohabite ou a cohabité et entretient ou a entretenu une relation affective et sexuelle durable". Mais il limite curieusement cette circonstance aggravante aux faits de violence, l’homicide volontaire excepté.

Un arrêt du 12 octobre 2020 de la cour d’assises de Bruxelles

Une aggravation de peine est quand même prévue pour le parricide mais le meurtre entre (ex-)conjoints demeure pour l’instant punissable des mêmes peines que tout autre meurtre, sauf à démontrer qu’il a été commis avec pour mobile la haine du sexe de la victime, une preuve quasiment impossible à rapporter.

Témoin récent d’une telle difficulté, un arrêt rendu le 12 octobre 2020 par la cour d’assises de Bruxelles qui jugeait un homme ayant tué une femme avec qui il avait eu une relation. Le jury n’a pas retenu la circonstance aggravante de l’agression sexiste, estimant qu’"il apparaît que l’accusé a manifesté du mépris, ou à tout le moins peu de considération, à l’égard des femmes qu’il a fréquentées. Ni ce mépris, ni l’hostilité ou la haine qu’il aurait pu témoigner à l’égard de X parce qu’elle était de sexe féminin, ne sont pour autant l’un des mobiles qui l’a poussé à commettre le meurtre de celle-ci".

Meurtre intrafamilial

Une lacune dans la loi est donc bien réelle, mais comment la combler ?

Dans l’immédiat, le législateur pourrait prévoir de sanctionner de la réclusion à perpétuité non seulement le parricide, mais aussi ce qu’il pourrait appeler (par exemple) "l’amanticide". Une telle réforme serait cependant provisoire, une refonte totale du Code pénal étant en chantier. Si aucune qualification spécifique de féminicide n’y est prévue, il y est en revanche proposé d’instaurer le meurtre intrafamilial, lequel recouvrirait aussi bien les faits commis sur un (ex-)partenaire que sur un parent en ligne directe ascendante ou descendante.

Et le devoir des hommes

Mais ne nous leurrons pas, toute réforme législative a ses limites. Il faut éviter qu’une simple modification du Code pénal donne à penser que l’on peut faire l’économie aussi bien d’un changement radical des mentalités que de mesures tangibles contribuant à prévenir le fléau de la violence faite aux femmes. Est-il démodé de parler ici, non de droit des femmes mais de devoir des hommes ?

Source : La Libre