Nous devons exiger que jamais les coûts médicaux ne soient le prétexte d’une euthanasie déguisée
Publié
le
16 mai 2022
dans
Bioéthique
par
Frédéric
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Vieillir est ennuyeux, mais c'est la seule façon de vivre longtemps." On prête à Charles-Augustin Sainte-Beuve cette lapalissade. Elle nous vient souvent à l'esprit quand l'âge progresse. La qualité de l'existence n'est certes pas fonction de sa seule durée, mais celle-ci est sans aucun doute l'un des premiers critères retenus. Nous n'avons qu'une vie et nous y tenons comme à un bien précieux, au même titre d'ailleurs qu'à la santé, qui en est le corollaire. Vivre longtemps, oui, mais, si possible, avec toute sa tête et en bon état !
Toute réflexion concernant les maisons de repos et de soins procède de ce postulat. En effet, nous souhaitons ne nous résoudre à une telle restriction de liberté qu’en cas d’absolue nécessité, en dernière extrémité, et pour y "poursuivre notre vie" plutôt qu’à seule fin de "survivre".
Observons d’emblée que ce type d’institution est relativement récent (du moins dans son acception actuelle) et qu’il se multiplie avec les progrès de la médecine et de la société qui ne cessent de retarder la fin de vie. Autrefois, nombreux étaient les anciens et vieillards qui étaient assurés de mourir chez eux avec l’aide de leurs proches, ou tout au moins au sein de la famille qui au besoin les hébergeait.
Faute de solidarité familiale suffisante, l’étape ultime de notre parcours se déroule désormais, non plus dans un entourage intergénérationnel, mais dans un home où ne se côtoient qu’aidants et soignants, d’une part, personnes assistées et vieillissantes, de l’autre. Ainsi, quel que soit le confort de la maison de repos, il lui manque inévitablement une dimension importante : le lien social avec le monde du travail, la vie active et surtout l’enthousiasme de la jeunesse comme le rire des enfants.
La crainte de coûts trop élevés
Le poids des ans est affligeant, non seulement parce qu’il use le corps et l’esprit, mais aussi parce qu’il entraîne de ce fait des soins démoralisants et onéreux. En fonction de son portefeuille, chacun se dit qu’un jour viendra peut-être où il ne pourra s’offrir les traitements indispensables pour le soulager de la souffrance et du handicap. D’aucuns craignent même qu’une société toujours plus matérialiste les contraigne bientôt à se priver de médicaments ou d’interventions médicales trop coûteux.
C’est ici qu’intervient une première réflexion. Elle est essentielle. C’est qu’en effet, dès lors que beaucoup parmi nous revendiquent et obtiennent le droit de "mourir dans la dignité", d’autres proclament haut et fort le leur, celui de "vivre jusqu’au bout" de la même manière (fût-ce moyennant des soins palliatifs). Quoi qu’il en coûte, nos contemporains doivent donc exiger que jamais le prix des hospitalisations, interventions médicales ou traitements pharmaceutiques ne soit le prétexte d’une euthanasie déguisée.
L’accompagnement spirituel
La deuxième réflexion concerne la qualité de l’assistance humainement requise. Celle-ci doit être respectueuse de la personne du pensionnaire et de sa liberté ; au-delà du bien-être matériel, la personne âgée (et peut-être souffrante) ne doit être ni infantilisée ni brimée ! En outre, il ne s’agit pas seulement de lui apporter l’aide et les soins élémentaires (quant à l’hygiène, au suivi médical et paramédical), mais aussi un accompagnement spirituel. Or, voici souvent une lacune, même là où la dénomination de la maison de repos comporte une référence philosophique ou religieuse. Il est à craindre que, faute de temps disponible ou de bénévoles, les occasions de célébrer un culte ou de manifester autrement ses convictions intimes se raréfient ; voici qui est particulièrement regrettable vis-à-vis de pensionnaires que l’âge conduit souvent à la sagesse et à une soif de méditation ou de prière.
La coexistence du public et du privé
La troisième et dernière réflexion est davantage pragmatique. Elle concerne non tant l’organisation des séniories et autres maisons de repos et de soins que leur nécessaire surveillance. Il semble qu’afin de mieux répondre à une demande qui ne fera que croître, les formules doivent être variées. Il s’agit, en effet, de satisfaire aussi largement que possible les souhaits légitimes des personnes concernées. Homes publics et privés doivent ainsi coexister, les seconds permettant légitimement aux mieux nantis de continuer à vivre dans l’aisance comme par le passé, du moment que même les indigents sont assurés de bénéficier de conditions d’hébergement décentes. Voici qui permettrait de correspondre non seulement aux possibilités financières de chacun, mais encore aux exigences de traitements physiques et psychologiques, voire aux aspirations intellectuelles et, plus encore, spirituelles. Le droit de vivre dans la dignité implique, en effet, celui de choisir librement la solution préférable à cet égard, comme celui de bénéficier au besoin d’un minimum indispensable de subsides. Mais, en tout état de cause, la question cruciale reste surtout celle du contrôle régulier et efficace du contrat conclu entre la personne âgée et ceux qui s’engagent à l’accompagner et à la secourir. Rien n’interdit que ceux-ci poursuivent un but de lucre, du moment que le prix des biens et services est convenu et justement proportionné ; il convient ici de veiller tant aux intérêts personnels du pensionnaire qu’à ceux des personnes qui assument le paiement du séjour. Les maisons bien tenues sont fort heureusement les plus nombreuses dans notre pays ; il s’impose que les autres s’améliorent d’urgence sous peine de sanctions administratives et financières.
Source : La Libre