Mourir, cela n’est rien…
Publié
le
5 février 2022
dans
Vulnérabilité
par
Ann
Goris
Les récentes révélations autour de [mauvais traitements au sein de] certaines maisons de repos ont de quoi nous faire frémir, bondir, souffrir.
Et pourtant, tout cela n’est pas nouveau, tout cela n’était pas totalement inattendu. C’est un peu comme une plaie connue dont on soulève de temps en temps le pansement en espérant qu’elle ne se soit pas trop infectée. En effet, se pencher sur le secteur des maisons de repos et de soins, c’est inévitablement aller à la rencontre d’une certaine souffrance.
Souffrance tout d’abord parce qu’il s’agit de personnes qui, après avoir parcouru une longue route, sont souvent confrontées à un corps qui souffre, qui lâche, qui n’arrive plus à suivre.
Cette étape de la vie, déjà si difficile en soi, est souvent également traversée par une recherche de sens, couplée à un sentiment de solitude, voire d’une expérience d’abandon. Combien ne sont-ils et ne sont-elles pas à avoir donné maison, argent, appartement, et à ne plus voir ensuite personne ?
Rien que ces réalités-là sont déjà des sources de souffrance. Alors que dire quand on y ajoute de mauvaises conditions de vie, de soins, de nourriture, des manques de respect, d’attention, de considération…
Un sommet d’inhumanité
Il serait évidemment faux de dire que toute personne âgée est facile à vivre, mais l’inverse n’est pas vrai pour autant. Ce que l’on ne peut nier, c’est que toute personne âgée est une personne en situation de vulnérabilité.
Et quand cette vulnérabilité est utilisée pour faire de l’argent, on touche à un sommet d’inhumanité, comme l’est l’esclavage, comme l’est le travail forcé des enfants, comme c’est le cas pour toute traite des êtres humains où il est question d’utiliser l’autre pour s’enrichir, en l’humiliant, le dégradant, l’exploitant.
Nul n’est à l’abri d’une déviance, mais quand elle est organisée, elle en devient criminelle.
Méfions-nous des belles façades extérieures
Et l’État dans tout cela ?
Beaucoup d’aides multiples et diverses ont été mises en place pour que les personnes puissent rester le plus longtemps possible chez elles. Ce qui implique que la majorité des personnes qui font le pas d’aller en maison de repos y viennent parce que "cela ne va plus" et qu’une vie en autonomie n’est plus possible. Les personnes y arrivent donc avec une plus grande dépendance et une grande fragilité physique et souvent mentale. Ceci a une répercussion directe sur la "vie" de la maison et le travail des animateurs et des soignants. Car créer des liens entre les résidents, un esprit convivial, une ambiance familiale par des activités diverses est de plus en plus difficile vu l’état de santé des personnes et la durée de leur présence dans la maison. Tout ceci démontre à quel point il faut se méfier des belles façades extérieures qui ne reflètent en rien la qualité ou non des soins, de la cuisine et de l’accompagnement humain.
Une nouvelle "éthique du care"
Cependant, il est facile de cracher dans la soupe, il incombe à chacun de rester vigilant et de balayer devant sa porte. Soyons honnêtes, si nous désirons avoir un personnel motivé, respectueux, posant des actes de qualité, il faut aussi que ce personnel de soins, d’animations, de nettoyage, de cuisine soit traité de façon respectueuse et avec reconnaissance.
Cette reconnaissance doit être humaine mais aussi salariale. Et c’est souvent là que les grands groupes financiers et l’État sont à la traîne. Il y a en effet toute une "culture du soin" à promouvoir, une nouvelle "éthique du care" à implémenter pour que soient enfin reconnues et valorisées les activités liées au soin dans notre société.
Ne soyons pas hypocrites, pointer du doigt les maisons de repos, n’est-ce pas aussi une manière de se dédouaner et de détourner le regard de notre propre responsabilité ? Nous, enfants, petits-enfants, proches, sommes-nous dans un réel accompagnement, une réelle écoute, une vraie présence dans cette étape difficile et souvent douloureuse du vieillissement de nos parents et de leur passage en maison de repos ? C’est peut-être là que commence le "prendre soin" le plus essentiel. Osons-nous nous poser la question : "Et si c’était moi ?"
"Mourir, cela n’est rien", disait Brel, "mais vieillir, oh vieillir…"
Source : La Libre