Le roi ne meurt jamais

Publié le 16 septembre 2022
dans Démocratie & Citoyenneté , Société
par Thomas Antoine

Le roi ne meurt jamais

Le décès de la reine Elizabeth II et les manifestations populaires et protocolaires qu’il suscite sont l’occasion d’une réflexion sur la monarchie, institution millénaire dont la pérennité semble défier les tribulations de l’histoire.

La question qui peut se poser est la suivante : le passé prestigieux de cette institution lui donne-t-il nécessairement un avenir ?

Ce régime politique est encore celui de six pays de l’UE, tout aussi démocratiques que les autres. Car il s’agit de se pencher sur les monarchies parlementaires ; il existe en effet dans le monde de nombreux systèmes monarchiques peu ou prou démocratiques, parfois sous la forme d’une république populaire !

Aujourd’hui, la différence entre monarchie et république est ténue. Nos monarques parlementaires règnent, mais ils ne gouvernent pas, leur neutralité facilite le processus démocratique et ses rotations de pouvoir ; le gouvernement change, le chef de la nation demeure. Non élus et donc soustraits à la logique transactionnelle des jeux politiques, les souverains sont au-dessus de la mêlée, leur place ne pouvant être convoitée. Inversement, la disparition d’un souverain, aussitôt remplacé par son successeur légitime, n’entraîne pas d’effets notables sur la politique d’un pays.

Deux grands philosophes grecs ont abordé la question du pouvoir : Platon, auteur de la République et Aristote, précepteur d’Alexandre le Grand. Platon le républicain idéaliste et Aristote le monarchiste réaliste.

Platon prône les idées intemporelles, parfaites, immuables, dogmatiques ; c’est le penseur de l’idéal mais aussi des idéologies, de l’absolu, des valeurs intangibles. Sa vision absolutiste aura inspiré plus d’un système totalitaire.

Aristote, plus réaliste, prône les vertus c’est-à-dire la mise en pratique des valeurs.

Il nous propose quatre vertus cardinales indispensables à tous et donc aux souverains.

La prudence : elle repose sur une connaissance de soi, une certaine lucidité qui rend tolérant envers les limites d’autrui et permet le discernement.

La tempérance : elle fait de la modération une vertu car elle permet les compromis sans les compromissions. Le monarque doit relativiser ce qui peut l’être, sans transiger sur l’essentiel.

La force d’âme, la générosité : indispensable au charisme d’un dirigeant, elle suscite l’admiration et donc l’adhésion.

Et enfin la justice : le Prince incarne un universel moral (la règle d’or), garant du "vivre ensemble" ; il est conscient des privilèges du talent et de la naissance pour les mettre au service du bien commun.

Car la finalité des vertus politiques est le bien commun, "Commonwealth", Res Publica.

Par la monarchie parlementaire, la république s’incarne en Rex Publicum, roi du peuple.

Mais une cinquième vertu semble indispensable. Vous vous souviendrez du roman d'Umberto Eco, Le Nom de la rose d'où fut tiré un film à succès : un vieux moine fanatique (platonicien), maître de la bibliothèque (tous ces livres qui tournent le dos au réel tant qu'on ne les lit pas) voulait éviter que soit révélée une œuvre d'Aristote sur la comédie, car le rire exorcise la peur et défait l'intolérance.

Ainsi pour un monarque, une première vertu semble indispensable : l’humour, quand il est la contraction des mots "humilité et amour". Cette mise à distance bienveillante, dont nos amis britanniques sont coutumiers, renforce l’autorité du Prince.

Le fonctionnement de la république est rationnel, fondé sur un pacte, tandis que la monarchie est relationnelle, fondée sur une alliance. La notion d’alliance existe évidemment dans les régimes républicains sous la forme du patriotisme ; la différence est que cette alliance prend chair dans les monarchies.

Le Prince n’est pas seulement légal, il lui faut être légitime. Son pouvoir ne repose pas seulement sur la Constitution, un accord politique daté et révisable, mais aussi sur sa capacité de faire alliance avec son peuple, de manière quotidienne et inconditionnelle.

Pour être élus, les politiciens doivent susciter une certaine convergence d’opinion et ensuite rendre des comptes à ceux qui les ont portés au pouvoir. Il leur faut inspirer la confiance par leur compétence et leur dévouement, jusqu’à la prochaine échéance électorale.

Le souverain, dont le mandat se transmet par l’hérédité, est censé orienter son action sur les générations à venir plutôt que sur les prochaines élections. Sa non-élection est précisément ce qui lui permet d’arbitrer entre les différentes factions. Et ce, alors que notre société paraît chaque jour plus fracturée, que les débats politiques sont de plus en plus polémiques.

 

Cette notion arbitraire du droit héréditaire, privilège singulier issu du passé, est précisément ce qui fonde la dynastie : le souverain est à la fois temporel par son histoire personnelle, sa capacité relative de cultiver une alliance avec son peuple, et intemporel par sa fonction symbolique qui dépasse ses qualités personnelles. Un symbole est ce qui unit des particularités, dans le respect de leurs différences.

 

Le monarque et sa famille, chaque jour scrutés par la presse, portent l’exigence de l’exemplarité. Leurs privilèges ne se justifient que par le service du bien commun.

 

La légitimité du souverain procède de son incarnation qui permet de créer des liens concrets et de représenter la cohésion de la nation. Sa liberté n’est pas d’être Roi, mais d’assumer dignement cette charge.

 

Son pouvoir est de rendre possible la communion de la diversité par un lien charnel et compassionnel, en s'inspirant de la sage demande du roi Salomon à Yahvé : "Donne-moi un cœur qui écoute."

 

C’est sur cette vocation d’alliance inconditionnelle, cette capacité de rassembler, de susciter l’amour de la patrie, de parler au cœur d’un peuple, que reposent la légitimité de la monarchie et sa pérennité.

 

Source : La Libre