La crise climatique sera-t-elle l'occasion d'une renaissance spirituelle ?
Publié
le
30 juin 2022
dans
Écologie
par
Renaud
Meeus
Épisode 2/3 de la série "Climat, écologie et société"
Face à l'enjeu climatique, nous avons vu qu'il ne s'agit de tomber ni dans un optimisme béat dans le pouvoir des innovations technologiques, ni dans un pessimisme désespéré et anxiogène, mais de marcher dans la voie de la lucidité, qui ne s'accommode d'aucun aveuglement. L'avenir du monde tel que décrit dans le dernier rapport du Giec nous impose de cesser de croire que nous pourrons passer à coté d'une remise en question profonde de nous-mêmes et de notre modèle de société consumériste. La crise climatique se double donc d'une crise existentielle, c'est-à-dire d'une affaire de vie ou de mort. Nous ne pouvons affronter ces questions liées à cette double crise seulement par le prisme de la raison technologique, dans la mesure où s'y trouvent liées des interrogations concernant l'amour, la mort, l'éternité, le sacré et la souffrance, qui relèvent bien davantage du domaine de la spiritualité.
Dès lors, quelle place le spirituel peut-il occuper dans les différentes dimensions de notre vie, et quel sens peut-il donner face à l’épreuve qui nous attend ?
La Bible, dès ses premières pages, nous informe d'un paradoxe existentiel que nous portons tous en nous-mêmes et qui peut être source de vie ou de mort. Dans le mythe de la Création, une voix d'amour donne deux ordres : l'homme est à la fois appelé à « cultiver » son désir, à l'épanouir et, en même temps, à « garder » le jardin ; autrement dit, à être le gardien de son âme désirante afin qu'elle ne détruise pas le don qui lui est confié. L'homme devra donc apprendre à transcender ce paradoxe par la découverte de la sagesse pour atteindre l'âge adulte de la maitrise et de l'équilibre de ces deux polarités de son être au monde. La Bible nous enseigne combien cette sagesse se révélera difficile à atteindre, et que quelque chose en l'humain refuse cette limitation. N'est-ce d'ailleurs pas légitime sachant qu'exister signifie sortir de soi par le mouvement d'un désir qui cherche sans cesse l'objet et l'être aimés ? Cet élan est celui de la vie qui nous fait goûter un « je ne sais quoi » de la profusion de l'Être. Nous ne devons ni renier cette force de vie inhérente à notre condition humaine, ni la refouler, mais simplement l'éduquer, c'est-à-dire la conduire hors des pièges de l'avidité et d'une appropriation qui seraient contraires à l'esprit de gratitude et d'émerveillement. À partir de ce donné de l'existence qu'est notre fameux paradoxe, deux voies nous semblent possibles.
Consentir au nom de la compassion et de la responsabilité
Il peut d’abord s’agir de sortir de la vision d’une limitation ressentie comme imposée de l’extérieur par le monde qui nous entoure pour aller vers une intégration progressive et consentie de ces limites au nom de la compassion et de la responsabilité. Comme nous l’enseigne Levinas, ce monde que l’on prend et veut posséder en le réduisant à la mesure de nos besoins insatiables, au nom d’une liberté qui tourne sur elle-même, nous devons plutôt apprendre à l’accueillir et à le recevoir tel qu’il est et avec respect. L’éthique de la responsabilité vis-à-vis de l’Autre et de notre Terre doit précéder l’éthique de notre liberté à disposer de tout comme nous le voulons. Contempler avec compassion le visage de l’homme fragile et vulnérable ou celui de notre terre meurtrie, devrait nous désarmer, nous dépouiller de notre convoitise afin que tout le créé puisse vivre devant nous sans honte et sans peur d’être humilié, mais libre et respecté.
Consentir au renoncement grâce à la joie
Notre difficulté à limiter cette force de vie qu'est le désir en nous provient en grande partie du système CPC (Croissanciste, Productiviste, Consumériste) au sein duquel nous vivons (1) et qui a capté sa puissance pour le dévoyer loin de sa fin légitime. Trop souvent avons-nous par ce biais arrimé notre force désirante à la recherche de petites satisfactions quotidiennes, alors que notre désir est fait pour l'infini. Combien de nous ont-ils vraiment pris conscience qu'ils portent en eux une soif de quelque chose de plus que les petites jouissances matérielles ?
Sortir des illusions de notre monde matérialiste s'avère donc une urgence pour guérir notre planète blessée, mais aussi nous guérir nous-mêmes et notre désir qui s'est dégradé en convoitise ; non pas seulement par la résignation à perdre ce qui nous sécurise, mais par une joie qui surpasse les petits plaisirs de notre société consumériste, une joie seule capable d'arracher l'homme à ses esclavages. Il y a urgence de tirer notre joie non plus seulement des ressources naturelles limitées que nous trouvons dans le sous-sol terrestre, mais de développer nos ressources spirituelles infinies. Urgence que nous réalisions chacun notre métanoïa, notre Pâques : une partie de nous doit mourir afin de pouvoir renaître à nous-même. Car nous avons à passer d'une jouissance essentiellement prise dans une extériorité débordante et anarchique à une joie reconnectée à notre intériorité.
Il s'agit de consentir, grâce à la joie plus forte que l'amertume du renoncement, joie de la sobriété volontaire, en vivant plus simplement pour que les autres puissent simplement vivre (Gandhi), joie de la découverte du trésor enfoui en soi qui est Sagesse rayonnante de bonté, qui transfigure toutes réalités, joie de la reconnexion au mystère de la vie. Seule une expérience de la joie profonde rendra donc possible les renoncements nécessaires pour la sauvegarde de notre planète. L'expérience des mystiques, telle par exemple celle décrite par Sainte Thérèse d'Avila dans son livre Le château intérieur de l'âme, n'est-elle pas éclairante pour notre sujet ? Dieu, vécu dans la foi comme présence réelle et objective au centre de l'âme, nous confie-t-elle, peut nous aider à traverser toutes nos peurs en nous donnant déjà de goûter à l'éternité joyeuse en nous. Oui, bâtir un monde nouveau – et il le faudra – ne se fera pas sans d'abord revenir aux sources de l'Etre qui est amour et joie, condition indispensable pour nous redéployer à travers notre pouvoir créateur qui, alors, sera devenu respectueux de la totalité du vivant.
Malraux n’avait-il pas raison lorsqu’il confia à André Frossard dans un entretien : « Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas » ?
(Ce texte est le deuxième d'une série de trois textes dédiés à la transition. Le premier texte était intitulé "Pour affronter les enjeux climatiques, la technologie ne suffira pas". Le troisième: "Climat, écologie et société : voici trois voies d'action pour entrer en transition".)
>>> (1) Cf M. M. Egger, Se libérer du consumérisme, Éditions Jouvence, 2020.
Source : La Libre