Face à l'individualisme, assiste-t-on à la revanche de la "vertu" ?
Publié
le
6 novembre 2021
dans
Vivre ensemble
par
Laura
Rizzerio
Ces dernières semaines, il a été fréquent d’entendre dénoncer le manque d’humilité ou de courage des politiques face aux défis auxquels nos sociétés sont mondialement confrontées. Courage et humilité sont ce qu’on appelle “vertus” en éthique, et dont la pratique était jadis considérée comme capable d’améliorer nos existences et procurer prospérité et justice aux cités.
Aujourd’hui parler de “vertu” sonne creux, car ce terme – et ce qu’il spécifie – est le plus souvent associé à une soumission aveugle à des normes sociales et morales jugées obsolètes. La vertu a ainsi été bannie du vocabulaire et de la pratique. Et pourtant, elle revient en force dans nos discours, comme si d’avoir plus d’humilité et plus de courage pouvait nous aider à mieux répondre aux problèmes que nous devons affronter. Cela signifie qu’elle est encore jugée d’une certaine utilité. Pourquoi ?
Le terme vertu a une longue histoire.
Il désigne une approche morale qui présuppose que la réalité a affaire avec le bien et le mal, et que le bien est le véritable objet des aspirations humaines.
Recherchée déjà par Socrate comme ce qu’il y a de plus “utile” pour soi et pour la cité, c’est chez Aristote qu’elle reçoit ses titres de noblesse en philosophie.
Pour Aristote, la vertu permet d’adapter nos faits et gestes du quotidien à notre inclination naturelle pour le bien. Avec la vertu, cette inclination s’inscrit donc dans chacune de nos habitudes, et notre vie concrète s’oriente donc vers ce qui est bon en toute circonstance…
Il en résulte que l’agir vertueux, comme par exemple le fait d’être courageux, tempérant ou de promouvoir la justice, est le résultat d’une inclinaison spontanée devenue habituelle à reconnaître le bien et à choisir les moyens pour le poursuivre.
La position morale de l’éthique des vertus favorise ainsi un agir qui suit le désir de bien et de vrai, en faisant fi de la culpabilité, du sens du devoir ou de la peur de la sanction. Autrement dit, si l’individu vertueux est incapable de mentir, d’être injuste ou lâche, d’utiliser sa force et son pouvoir pour servir ses intérêts et pas le bien commun, ce n’est pas par crainte, mais parce que, s’il mentait ou s’il se comportait de manière injuste, il irait contre son propre bien et donc contre son intérêt.
De là vient le fait que les anciens considéraient la recherche de la “vertu” comme indispensable, non seulement pour l’accomplissement de soi, mais aussi pour la bonne gestion de la cité. Car par l’exercice de la vertu le citoyen apprenait que la poursuite du bien pour soi n’est jamais séparée de la poursuite du bien pour la société, le bien visé par chacun étant aussi un bien commun.
L’exercice de la vertu était ainsi considéré comme capable d’ouvrir à la solidarité et au soin du collectif en garantissant bien-être et paix à la cité en même temps qu’à soi.
Mais est-il réaliste, aujourd’hui, d’en appeler à la vertu ?
Les crises que nous vivons, sanitaire et climatique, nous confrontent de manière de plus en plus évidente au lien qui unit les humains entre eux et aux autres vivants, et elles nous interrogent sur le sens de notre action, sur la place que nous accordons à nos propres intérêts en délaissant ce qui est commun. Nous constatons, parfois sans avoir d’alternative, que le modèle de vie “réussie” prôné par une société centrée sur les intérêts individuels et sur une économie de marché conduit la planète à la ruine. Or, l’éthique des vertus, en favorisant la prise en compte du bien et de la bonté humaine dans l’agir au quotidien, et en mettant en valeur l’importance du collectif et de la solidarité, contribue, dans la pratique, à la réalisation de relations et d’actions plus justes, animées par des actes individuels et collectifs de générosité, de courage, d’humilité, de magnanimité, de respect pour les autres et pour l’environnement. Cela permet d’envisager un nouveau modèle d’accomplissement de soi et, par ricochet, un nouveau modèle de société.
En d’autres termes, l’exercice de la vertu invite chacun à assumer à la première personne la responsabilité de poursuivre, en toute action, ce bien que la réalité porte en elle. Et en même temps, il permet à tous d’exiger des pouvoirs publics et des Institutions qu’ils favorisent des politiques capables de promouvoir et de protéger ce qui est commun à tous, par la mise en place de règles et de lois garantissant l’exercice de la justice, de la solidarité et du partage.
Source : La Libre